Actes du colloque - Volume 3 - page 9

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Technical Committee 205 /
Comité technique 205
2.2
Avec un risque délibérément accepté
L’étude géotechnique, masquée dans le sous-sol, ne procure
rien de concret au maître de l’ouvrage et il fut un temps – et
parfois on s’y croirait encore de nos jours -, où elle n’était qu’un
« ersatz » d’étude géotechnique.
En toute conscience, il s’agissait de passer le cap de la
réception pour bénéficier d’une assurance tous risques durant la
vie décennale de l’ouvrage. Quelquefois, même relativement
souvent en la matière, la nature ne le permettait pas. Le sinistre
résultant d’une inadaptation de l’ouvrage au sol survient en
toute logique en cours de chantier sans même attendre la
superstructure.
Alors le juge a pris conscience. Dans le cadre d’un régime
juridique immuable, « exceptionnellement », de la garantie
décennale, il a compris qu’il lui appartenait en quelque sorte de
« moraliser » le secteur de la construction, en appréciant la prise
de risques, en particulier celui relatif au sol, et de la sanctionner.
Ainsi est née la notion jurisprudentielle d’acceptation
délibérée d’un risque par le maître de l’ouvrage. En l’espèce, il
avait été informé du risque d’effondrement de la falaise par un
précédent entrepreneur qui avait refusé le chantier [Cass. 3è civ.
19 janvier 1994].
Il est édifiant de constater que les arrêts de la Cour dite
« suprême » consacrant cette notion sont très souvent relatifs au
risque du sol. Cela ne peut surprendre que les juristes, car les
ingénieurs sont nécessairement convaincus du caractère
aléatoire de la géotechnique.
Toutefois, la reconnaissance d’une acceptation délibérée des
risques par le maître de l’ouvrage reste réservée à un nombre
infime de cas. En effet, le juge a quelques exigences à l’égard
de l’homme de l’art : le maître de l’ouvrage doit avoir été
parfaitement informé d’un tel risque [Cass. 3è civ. 11 déc.
2007]. Et la perfection n’est pas de ce monde…
Le devoir de conseil est apprécié de manière extensive et en
devient « irrésistible » : Dans le cas d’un glissement de terrain,
alors que le maître de l’ouvrage était passé outre les conseils des
constructeurs pour une solution de confortement de talus, il a
été jugé
«… qu’il n’était pas démontré que cette société
employait du personnel ayant une expérience et des
connaissances spécifiques lui permettant d’appréhender dans le
détail l’ensemble des questions techniques… »
[Cass. 3è civ. 14
mars 2007] Comment le juge peut-il imposer une telle condition
alors qu’un maître de l’ouvrage, le plus souvent profane, doit
s’en remettre à la compétence de ses constructeurs et suivre
leurs conseils ?
3 UNE CONVICTION :
LA GÉOTECHNIQUE POUR LES
NULS
Une conviction : Il faut enseigner aux juges la particularité
de cette science naturelle pour leur permettre d’apprécier les
limites auxquelles se heurtent ces mécaniciens du sol, mais
également encadrer juridiquement l’activité géotechnique.
Deux moyens : une formation géotechnique « basique » de
l’avocat pouvant offrir ainsi une vulgarisation de l’art
géotechnique à l’attention du juge ; un accompagnement de la
profession pour l’élaboration d’une norme juridique délimitant
les missions et une formation des ingénieurs sur les risques
encourus.
3.1
La formation réciproque
Faire entrer la science dans les prétoires pour mettre fin à ce
dialogue de sourds, apparut comme une évidence. Il fallut déjà
acquérir quelques notions de ce langage scientifique auprès d’un
consultant en géotechnique, Francis Blondeau, acceptant de
délaisser quelque peu le prestige de l’Ecole Nationale des Ponts
et Chaussées, pour une mission plus terre-à-terre, celle de servir
la cause d’un avocat en quête de vérité. Ce fut le temps des
pâtés de sable et de l’apprentissage des formations géologiques,
sans réelle cohésion…
Globalement, on aura compris l’incidence de l’eau dans le
sol sans jamais maîtriser les calculs de perméabilité et encore
moins, cette ignorance hydrogéologique revendiquée de
manière péremptoire par des géotechniciens. A l’échelle des
temps géologiques, la géotechnique est récente en tant que
science rationnelle, même si la technique empirique doit être
aussi vieille que l’humanité. Dès lors, il est raisonnable de
penser que son exercice devrait encore évoluer.
L’expérience des sinistres aidant, les fondations posées, le
langage acquis, il n’était pas encore temps de prétendre donner
la leçon au juge, et encore moins à l’adversaire, tous deux
empreints de certitudes acquises au fil de décennies passées
dans le flou artistique de cette science quasi-occulte.
La communication entre deux mondes est d’autant plus aisée
par le balbutiement réciproque : les géotechniciens devaient
apprendre des bribes du langage juridique pour mieux
appréhender leurs risques en termes de responsabilité, avec les
aléas judiciaires, aussi inéluctables que les incertitudes terrestres
de leur science.
Ce fut le temps de la formation juridique axée sur les risques
à partir de la relecture de sinistres. Et là, l’avocat a perdu tout
sentiment de fierté face à ses châteaux de sable, devant la
maîtrise par les ingénieurs de l’emploi des adverbes, de la
conjugaison au conditionnel et autres artifices cherchant à les
prémunir contre toute certitude. Une belle leçon d’humilité par
le géotechnicien, « maître » en modestie, car la nature le
commande.
Enfin, la liste de sondages faisant office de devis a pris la
forme plus adéquate d’un contrat en bonne et due forme, avec
des conditions générales d’intervention annexées permettant de
mettre en exergue les incertitudes inhérentes à la science
géotechnique. Mais surtout, l’intervention du bureau d’étude est
désormais encadrée par la normalisation des missions
géotechniques, principal acquis du siècle dernier en la matière.
3.2
L’élaboration d’une norme
An 2000… A l’issue de plusieurs années d’application d’un
projet de normalisation, le nouveau millénaire a vu la naissance
de la norme géotechnique NF P 94-500, fruit du travail de
recherche de l’homme de l’art pour préserver ses droits face à
une justice plus rigoureuse à l’égard du spécialiste de sol, dans
les limites d’une science incertaine par nature qui dépend de
l’investissement du maître de l’ouvrage.
Par un avant-propos très explicite, la norme expose la
problématique des risques liés aux aléas géologiques pour
sensibiliser le maître de l’ouvrage, mais également tous les
intervenants à l’acte de construire. Par analogie aux missions de
maîtrise d’œuvre, l’objectif est de les convaincre de la nécessité
d’un enchaînement des missions géotechniques G1, G2, G3 et
G4, le cas échéant G5, à tous les stades d’élaboration et de
réalisation du projet pour identifier les risques et prendre les
dispositions qui s’imposent.
La norme ne donne aucune illusion : il demeure toujours des
risques de sol résiduels. Mais elle permet d’en prendre
conscience et de les limiter. Nul n’est censé l’ignorer.
Lorsqu’un prétendu expert judiciaire feint de l’ignorer, la
sagesse du juge rétablit la vérité.
Un autre cas d’école sur un terrain glissant : Chargé d’une
mission de diagnostic G5 en cours de chantier, dans un laps de
temps très bref de quatre jours, un géotechnicien a donné des
principes généraux à partir d’hypothèses en émettant des
réserves sur un problème d’emprise qui ne pouvait être
respectée et sur la nécessité d’une adaptation du projet.
Un glissement de terrain étant survenu, le réquisitoire de
l’expert fut dirigé exclusivement contre cet intervenant
spécialiste du sol aux motifs : de ne pas avoir consulté la carte
géologique et effectué de recherche bibliographique de PPR, de
ne pas avoir exécuté de sondages carottés et d’essais de
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