Actes du colloque - Volume 3 - page 8

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Proceedings of the 18
th
International Conference on Soil Mechanics and Geotechnical Engineering, Paris 2013
Mais la socialisation du risque n’exclut pas la
responsabilité, elle répond à un besoin d’indemnisation. La
médiatisation ayant un effet important sur la perception du
risque, la responsabilité sans faute est souvent la règle pour
parvenir à une réparation aisée du préjudice et la « punition »
pénale, recherchée en tant que sanction.
En droit de la construction, la justice est rendue dans un
cadre législatif rigoureux pour les intervenants à l’acte de
construire. Après réception de l’ouvrage et durant dix ans, le
maître de l’ouvrage bénéficie d’une présomption de
responsabilité de plein droit des constructeurs, pour les
dommages graves,
« même résultant du vice du sol »
, selon la
terminologie de l’article 1792 du Code civil
,
en vertu d’une loi
Spinetta édictée en 1978 difficile à exporter…
En matière de sol et fondations, les dommages sont toujours
graves en ce qu’ils compromettent la solidité de l’ouvrage ou le
rendent impropre à sa destination. Ces dommages engendrent
d’ailleurs les sinistres les plus coûteux.
Mais le sol est-il réellement vicié ?
1.2
Une science incertaine par nature
Le sol, fondement de la construction, constitue un élément
difficile à appréhender, tant eu égard aux limites scientifiques
pour le prévenir, qu’au coût de cette prévention.
Les difficultés pour limiter l’incertitude liée à la nature du
sol et déterminer par avance le comportement des ouvrages
devraient inciter le maître d’œuvre, « chef orchestre » de
l’opération, à prévoir l’intervention d’un spécialiste aux
différentes phases de construction, et non uniquement en amont,
souvent avant démolition. Le géotechnicien, intervenu au stade
de la faisabilité du projet, pourrait ainsi contrôler son
adéquation à la nature des terrains rencontrés après excavation
et le cas échéant, modifier son étude préalable.
Souvent mal reconnu, ou d’une telle hétérogénéité
difficilement appréhendable, le sol demeure un milieu empreint
d’incertitudes. Sa connaissance, par sa reconnaissance, dépend
en outre de l’investissement du maître de l’ouvrage, bénéficiaire
de l’opération de construction, le plus souvent propriétaire du
terrain.
A ce titre, selon une jurisprudence
[Cass. 3è civ. 19 juin 2003]
désormais bien établie, le propriétaire du terrain en est le
gardien au sens de l’article 1384 al. 1
er
du Code civil.
Il est ainsi responsable du risque du sol, puisque contraint
d’indemniser les dommages engendrés au fonds voisin par un
glissement de terrain. Est-ce toujours aussi simple ?
Un cas d’école géotechnique sans force majeure pour le
juge: selon Philippe Guillermain, éminent expert judiciaire,
spécialiste en géotechnique,
« ce constructeur n’avait aucune
raison, ni obligation technique, d’aller rechercher la présence
d’hypothétiques marnières inconnues sur ce site à l’époque, à
une profondeur de 12 m »
et
« la maison s’est normalement
comportée de 1990 à décembre 1999, délai d’épreuve
technique probant, confirmant le bien fondé du choix initial de
fondation. »
Puis, l’expert précise :
« L’effondrement s’est
produit brutalement à la faveur de fortes précipitations de fin
décembre 1999. On connaît par expérience l’effet néfaste de
l’eau dans un tel contexte. Un arrêté de catastrophe naturelle a
d’ailleurs été pris pour cette Commune. Il correspond très
exactement à la nature du désordre
mouvement de terrain
et à
la période d’apparition
du 25 au 29.12.1999
»
Comment le juge, en première instance, puis en appel, a-t-il
pu condamner dans un tel contexte ? En l’occurrence, en
l’absence d’étude de sol ! Mais cela n’est tout de même pas
justifié, à défaut de lien de causalité, élément substantiel pour
retenir la responsabilité.
2 UN PARADOXE : UN GÉOTECHNICIEN
RESPONSABLE MAIS NON COUPABLE
Un paradoxe : Un bureau d’étude géotechnique spécialisé,
donc très exposé en termes de responsabilité et pourtant
intervenant le plus souvent en amont de l’opération, sans
aucunement participer à la conception, ni à la réalisation de
l’ouvrage et sans pouvoir influer sur la nature et l’ampleur des
études au cours de l’élaboration du projet.
2.1
Un certain art de construire…
Ces hommes d’un art si particulier savent que la
géotechnique comporte des risques importants eu égard aux
incertitudes naturelles et qu’une pratique trop audacieuse
emporte inéluctablement la sanction du juge. Mais rien ne
justifie qu’ils supportent abusivement les conséquences de
choix techniques ou économiques qu’ils n’ont pas maîtrisés au
seul prétexte qu’ils sont les spécialistes du sol et en sont garants
à ce titre.
Or, le géotechnicien est souvent perçu à tort comme le
maître d’œuvre des infrastructures même s’il s’est vu confier la
réalisation de quelques sondages et a donné des principes
généraux de fondation en fonction des caractéristiques des
terrains, avant élaboration du projet. Il fut un temps, pas si
ancien, où le contrat d’un tel bureau d’étude spécialisé se
résumait à une liste « ésotérique » d’appellations savantes
(pressiomètres, pénétromètres, carottages…), auxquelles le juge
répondait par une simplification extrême de sa pensée : un
sinistre de sol est imputable au spécialiste du sol.
Pourtant, à un stade très préalable, sans définition du projet
et communication des descentes de charges, parfois dans un site
partiellement inaccessible avant démolition, avec des moyens
financiers restreints limitant les investigations, le géotechnicien
ne peut sérier le risque du sol pour le rendre résiduel.
Si l’objet de la géotechnique est d’étudier le sous-sol, elle
ne saurait pallier le
« vice du sol »,
au sens de l’article 1792 du
Code civil, expression considérée impropre par Jacques Catz
[Les constructeurs et le risque du sol »,
Editions du Moniteur,
1985], car le sol n’est jamais vicié, il est seulement mal
reconnu.
En effet, deux évidences s’imposent :
- Il est impossible de reconnaître l’intégralité du sous-sol et
l’étude sera nécessairement fondée sur un nombre limité de
sondages.
- Le risque 0 n’existe pas ; un aléa géologique ou une simple
hétérogénéité entre deux sondages peut être décelé
ultérieurement.
L’hétérogénéité est propre au sous-sol puisqu’il est
constitué de sols et de roches de nature et de consistance très
variées façonnés par le temps, le climat, les événements
tectoniques à l’échelle géologique, mais aussi par l’action de
l’homme qui en a tiré profit (exploitations de carrières et de
mines).
La connaissance partielle du sous-sol acquise par l’étude à
un instant donné peut également être remise en cause par une
évolution dans le temps (variation du niveau des nappes –
gonflement et retrait des argiles – dissolution de gypse et
création de cavités…).
De surcroît, l’ouvrage lui-même peut avoir une incidence
sur le comportement du sol (ex : paroi moulée qui crée un
barrage à l’écoulement naturel des nappes).
Tous ces facteurs excluent une analyse trop simpliste en
termes de responsabilité ; le juge doit apprendre à s’adapter à la
complexité de la matière. Sinon, c’est le terrain juridique qui
s’en trouvera vicié.
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