Actes du colloque - Volume 3 - page 7

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L’expérience française insolite d’un encadrement juridique : une certaine maîtrise
du risque du sol
Unusual French experience of a legal frame: a certain mastery of ground risk management
Carrière M.-L.
Avocat au Barreau de Paris
RÉSUMÉ : Au début des années 1990 la géotechnique est considérée aux yeux des juges comme une science quasi-occulte, affaire de
spécialistes. En vertu d’une jurisprudence constante, les tribunaux et cours condamnent systématiquement le bureau d’étude
spécialisé, au motif qu’il est le seul à connaître les règles de l’art géotechnique et doit le maîtriser. Pourtant, dans une science
incertaine par nature, un risque du sol résiduel est inéluctable et d’autant plus, dans un contexte de recherche d’économie et de
limitation des missions d’ingénierie. L’article montre comment le cadre juridique a pu évoluer par une formation réciproque des juges
et des ingénieurs. Une formation géotechnique basique de l’avocat permet une vulgarisation de l’art géotechnique à l’attention du juge
pour apprécier les limites de cette science naturelle. Une formation des ingénieurs sur les risques encourus et un accompagnement de
la profession pour l’élaboration d’une norme délimitant les missions aident à encadrer juridiquement l’activité géotechnique. A l’aube
du troisième millénaire la responsabilité du géotechnicien n’est plus une fatalité. Le juge est devenu familier de cette science et
maîtrise désormais les contours des missions, pour imputer le risque du sol à qui de droit !
ABSTRACT: On the early 90’s, the geotechnical matter is considered as occult from the jury’s point of view: it’s a business for
specialist people. Under a law, tribunals and courts routinely condemn consulting firm specializing on the grounds that it is the only
one to know the rules of the geotechnical art and should control it. However, in an uncertain science by nature, a residual risk due to
soil is inevitable, even more in the context of limited budgets and missions. The article shows how the legal framework can evolve by
a mutual training of the judge and the engineer. The judges must be taught on the particularity of this natural science to enable them to
appreciate the limitations faced by these soil engineers, but also create a legal framework around geotechnical activity. A basic
geotechnical training for the lawyer is necessary with a possible extension to geotechnical art to the attention of the judge. The
training course for engineers on the risks and the accompaniment of the profession enable to develop a standard for a legal framework
defining missions. At the dawn of the third millennium the responsibility of geotechnical is no longer inevitable. The judge became
familiar with the science and now controls the contours of missions, to allocate the risk of soil to the one who is responsible.
MOTS-CLÉS: sol, risque du sol , vice du sol, norme géotechnique, responsabilité.
KEYWORDS: soil, soil risk ,standard geotechnical , responsibility
1 UN CONSTAT : UNE JUSTICE INJUSTE
Début des années 1990, en France, un constat : La
géotechnique est une science quasi occulte aux yeux des juges ;
elle est affaire de spécialistes.
Et avec un esprit quelque peu provocateur, il n’est pas
interdit de penser que cette science demeure souvent
mystérieuse pour l’homme de l’art lui-même.
En vertu d’une jurisprudence constante, les tribunaux et
cours condamnent systématiquement le bureau d’étude
spécialisé, au motif qu’il est le seul à connaître les règles de
l’art géotechnique et doit le maîtriser.
Mission impossible.
1.1
Un certain droit, « spécificité française »
La société occidentale a vu naître le principe de précaution,
consacré en droit communautaire. Ce concept flou vient
satisfaire la société du risque : Le caractère plausible du risque
dans l’incertitude scientifique, la proportionnalité entre
l’objectif poursuivi et les mesures prises, mais des méthodes
finalement non définies pour évaluer les risques qui engendrent
une mise en œuvre délicate et source d’interprétation.
Au-delà de ce droit, finalement européen, qui ne saurait
susciter une quelconque envie de nos voisins puisqu’ils en
bénéficient, où est la « spécificité française » ?
Dans un Etat qui se revendique « de droit », l’exigence du
risque 0, pourtant inaccessible, se dessine. « Au
commencement, la terre était déserte et vide… » La société
exige désormais la sécurité ; la perception des risques évolue.
Parallèlement, les risques en font de même : Une urbanisation
massive, la perte de mémoire collective, le progrès comme
facteur de risques, les risques naturels et technologiques...
On note également une extension de la notion de préjudice,
des risques considérés classiques dans des temps anciens, étant
plus difficilement acceptés.
Ainsi, la mutualisation se fait socialisation du risque pour
répondre à un grand principe sans cesse réaffirmé en droit
français : la réparation intégrale du préjudice.
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